Publié le 15 septembre 2025 Mis à jour le 15 septembre 2025
Gaël GODI est ingénieur en techniques expérimentales, responsable technique de la plateforme d’essais Matériaux et Structures pour le Génie Civil (MSGC). Il intervient dans le cadre du département Génie Civil de Polytech et pour l’équipe M3G de l’Institut Pascal. Il participe aussi à l’activité de transfert technologique de la plateforme, qui fait partie du pôle UCA Partner. Ses activités comprennent la conception de bancs d’essais et d’instruments de mesures, l’assistance aux essais et la formation des utilisateurs. Son expertise sur les systèmes de mesures IoT a abouti au développement récent de capteurs dédiés et adaptés au suivi d’œuvres patrimoniales.

Il s'est prêté au jeu de l'interview : 

« Alors, dites-nous… comment en vient-on à travailler sur un projet technologique en lien avec la Joconde ? »

Je dirais que c’est d’abord une histoire de rencontres. Je travaille dans le cadre de certains projets de recherche centrés sur le matériau et les structures en bois pour le bâtiment avec un collègue directeur de recherche CNRS, Joseph Gril. Et il se trouve que Joseph est depuis plus de 20 ans le coordinateur d’une équipe scientifique chargée par le Louvre de la conservation préventive du panneau de peuplier sur lequel la Joconde est peinte. Il m’a proposé d’intégrer cette équipe en 2022. L’équipe rassemble des scientifiques et des conservateurs, basés à Clermont-Ferrand, à Florence en Italie, à Paris, à Poitiers, à Montpellier avec chacun ses domaines d’expertise. La démarche mise en place pour le suivi du tableau comprend entre autres choses un système de mesure installé de façon permanente derrière le tableau. En 2022, une amélioration de ce système a été engagée et j’ai pu mettre à profit mon savoir-faire dans les systèmes d’instrumentation pour ce projet particulièrement intéressant et exceptionnel.

« Quel est le rôle précis du capteur sur lequel vous travaillez, et à quoi sert-il dans ce projet ? »

Tout d’abord, il faut comprendre que la Joconde est peinte sur un panneau en bois, comme de nombreux autres tableaux réalisés à la même époque. Et le bois est un matériau « vivant » qui a la particularité de se déformer en fonction de la température et de l’humidité de l’air. On peut aussi ajouter que le panneau de la Joconde présente une fissure ancienne du 16ème siècle qu’il faut surveiller. Concrètement, le système de mesure mis en place sur le tableau permet d’obtenir des données fiables sur les déformations du tableau, ainsi que les efforts appliqués au panneau par son cadre. Mon apport dans le projet a été de développer un nouveau système de mesure plus précis que le précédent, plus simple à utiliser et qui procure un accès aux mesures en temps réel, 24 heures sur 24 et 365 jours par an. Le travail en cours et à venir se concentre maintenant sur l’exploitation des données de mesures, en lien avec un modèle numérique du tableau. Pour simplifier, l’idée est d’établir un lien entre le monde physique et le monde de la simulation numérique, avec l’objectif d’aider à évaluer la bonne santé du tableau et son évolution.

« Travailler sur une œuvre aussi emblématique, c’est impressionnant ? Qu’est-ce que ça change dans votre approche ? »

Oui bien sûr, c’est impressionnant. Par rapport à d’autres projets, il faut évidemment que tout soit « parfait », et du premier coup. Lorsque que l’on réalise des mesures sur le tableau, ou bien lorsque je développe un nouveau système de mesure, il n’y a pas le droit à l’erreur. Et évidemment, comme souvent, les délais pour réaliser ce qui est prévu sont toujours trop courts ! Mais je vois ça plutôt comme un défi, et finalement toutes ces contraintes et la pression m’ont permis aussi d’apprendre à anticiper les problèmes, et les solutions à mettre en œuvre. Un projet comme celui-ci est vraiment gratifiant lorsque tout se passe bien. Et puis évidemment c’est impressionnant, chaque année, de participer à la journée organisée par le Louvre, de se retrouver près du tableau sorti de sa vitrine et de son cadre, et de participer aux différentes opérations prévues par l’équipe.

« Est-ce que ce type de capteur a d’autres applications, en dehors du monde de l’art ? »

Effectivement ce genre de système de mesures a d’autres applications. Pour ma part, cela fait une dizaine d’années que je travaille sur les capteurs de monitoring et habituellement plutôt sur des systèmes destinés au suivi mécanique et hygrothermique de bâtiments ou d’ouvrages. Cette manière de quantifier la santé ou les désordres des bâtiments est plutôt récente, mais on peut dire qu’elle se démocratise et qu’elle devient de plus en plus fréquente depuis quelques années. Elle est utilisée pour certains ponts, pour des bâtiments récents, ou encore pour le suivi de bâtiments patrimoniaux endommagés ou à risque tels que des châteaux ou des églises. Dans le monde de l’art, l’utilisation de ce type de capteurs est quelque chose d’assez récent, et cela va probablement devenir de plus en plus fréquent. Tout ce qui est réalisé pour la Joconde va je l’espère montrer le potentiel de tels systèmes pour d’autres œuvres.

Merci à Gaël pour sa participation !